Courants littéraires
Le
Classicisme
XVIIe siècle
Présentation
Le Classicisme, courant esthétique regroupant
l’ensemble des ouvrages qui prennent comme référence esthétique les
chefs-d’œuvre de l’Antiquité gréco-latine.
Le terme a une
définition esthétique mais aussi historique, puisqu’en France l’« époque
classique » est la période de création littéraire et artistique
correspondant à ce que Voltaire appelait « le siècle de Louis XIV » ; il s’agit essentiellement des années
1660-1680, mais en réalité la période classique s’étend jusqu’au siècle
suivant. Le classicisme en France est un cas singulier : cette période a
été appelée classique parce qu’elle se donnait comme idéal l’imitation des
Anciens, mais aussi parce qu’elle est devenue une période de référence de la
culture nationale.
C’est aussi
Versailles qui forge, vers 1660, l’idéal de « l’honnête homme » qui se caractérise par une élégance à la fois
extérieure et intérieure, signe distinctif d’une société qui a érigé la
discipline et l’urbanité en principes de vie.
Au-delà de ces
définitions historique et esthétique, le sens du terme « classique »
a été étendu jusqu’à désigner tout écrivain dont l’œuvre semble propre à être
étudiée dans les écoles pour y servir de modèle. Dans un sens encore plus
large, est classique toute œuvre culturelle qui est devenue une
référence : on dit ainsi couramment de tel film qu’il est un classique.
Chaque littérature a ainsi ses écrivains
classiques. Il existe par ailleurs des périodes littéraires qualifiées de
classiques : « classicisme de Weimar » en Allemagne (du voyage
en Italie de Goethe en 1786 à la mort de Schiller en 1805), « âge »
de Dryden et de Pope en Angleterre, par exemple.
Nous parlerons ici
du classicisme du Grand Siècle.
Classicisme
et Baroque
Heinrich publia
en 1898 un livre sur l’art italien du XVIe et du XVIIe siècle, l’Art classique, dans lequel il
opposait Classicisme et Baroque : d’un côté la ligne
droite, la noblesse et l’équilibre, de l’autre la courbe, le mouvement et le
foisonnement. D’un côté Raphaël et Poussin (les classiques), de l’autre
Michel-Ange et Bernin (les baroques).
La notion
de baroque ne sera introduite que plus tard dans l’histoire
littéraire française ; elle permettra de nommer et de redécouvrir la
période historique située entre la Renaissance et le classicisme, période
placée sous le signe de l’irrégularité, du spectaculaire, de la métamorphose,
de l’éphémère, de l’illusion et de l’identité vacillante.
L’idéal
classique
Au XXe siècle, André
Gide rappelle
combien les règles imposées aux écrivains classiques constituent le
« cadre » propice à la maturation d’œuvres harmonieuses, dans
lesquelles forme et contenu se fondent en une parfaite unité.
Les grands
auteurs de l’époque, tels Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, s’inspirent des Grecs, Euripide, Aristophane,
Théophraste, Ésope et des Latins, Plaute, Térence, Virgile, Horace et
Sénèque. La Bruyère s’inquiète, à la première page des Caractères, que tout soit dit : « En ce
qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne
fait que glaner après les Anciens et les habiles d’entre les modernes ».
Cependant cette imitation considérée comme une loi fondamentale de l’esthétique
classique ne doit pas être confondue avec le plagiat. Les
« disciples » conservent dans leurs œuvres cette part caractéristique
de leur époque qui leur permet de faire autre chose que du
« Plaute ». de l’« Ésope » ou de l’« Euripide »,
tout en gardant à ces derniers leur admiration. Dans ce sens, La Fontaine affirme dans son « Épître à
Huet » :
Mon imitation n’est point un esclavage […]
Je ne prends que le sens et le tour et l’idée
Tâchant de rendre mien cet air d’antiquité.
Je ne prends que le sens et le tour et l’idée
Tâchant de rendre mien cet air d’antiquité.
Le culte des
Anciens se double du souci d’instruire et de plaire. Pour accéder à cet idéal,
il faut remplir certaines conditions que les théoriciens définissent. L’art
s’apprend et se maîtrise et une œuvre accomplie est l’aboutissement d’un long
travail. C’est à ce prix que les Classiques créent la beauté. La Fontaine reconnaît dans la « Préface » de Psyché : « Mon principal but est toujours
de plaire ». Cet objectif est atteint quand l’écrivain se plie aux règles
des différents genres littéraires, qu’il apprend à en dominer les contraintes et, à
travers elles, à conquérir l’art de communiquer clairement ses idées. L’Art poétique de Boileau (1674) inspiré de la Poétique d’Aristote rend compte de cette
perfection qui permet d’allier la vérité d’une pensée et la justesse de son
expression. Cet accord du fond et de la forme ne se distingue pas de la beauté.
À ce précepte
s’ajoute l’attachement au naturel, vertu classique par excellence, qui régit
l’expression littéraire aussi bien que les comportements humains. La
prédominance du naturel ne peut être séparée d’un idéal de clarté qui exige, à
la fois, une pensée suffisamment limpide pour être totalement communicable, et
un langage suffisamment précis pour communiquer cette pensée. À ce
propos, Boileau écrit : « Ce que l’on conçoit bien
s’énonce clairement ».
Cet idéal
littéraire coïncide avec un idéal humain de mesure et d’équilibre. Une fable de La Fontaine, intitulée « Rien de trop », illustre bien
ce précepte dont Montaigne au XVIe siècle, avait fait sa règle de vie. Molière fait dire à Philinte
dans Le Misanthrope : « La parfaite raison
fuit toute extrémité ». Ainsi, les Classiques condamnent toute forme
d’excès.
Donc, à la stricte
étiquette de la Cour et à une hiérarchie sociale nettement définie, correspond
l’ordonnancement des idées et de l’expression, harmonieusement fondues.
L’harmonie est le maître-mot qui sous-tend l’idéal classique: harmonie entre
l’éclat du règne et celui des arts, harmonie d’une langue limpide au service
d’une pensée lumineuse.
Les «
phares » de la littérature classique
C’est dans le genre théâtral que se manifeste, dans son plus grand éclat, le
génie classique. Molière fait de la comédie un instrument d’analyse de la société et des
travers de l’homme. Le Cid de Corneille (1636) est le point de
départ pour l’application d’un code théâtral à partir duquel les dramaturges
élaboreront les règles qui contribuent à la perfection du genre. La tragédie
classique s’inspire
essentiellement de l’Antiquité greco-latine. Elle est régie par la règle des
trois unités qui impose
une action unique, concentrée en un jour, en un seul lieu, sans
épisodes superflus.
À cette cohésion,
s’ajoute une exigence de rigueur formelle puisque la tragédie comporte cinq actes, écrits en vers alexandrin ; le respect des bienséances et le souci de la vraisemblance participent également du code de
l’écriture théâtrale. Rien de choquant ne doit être représenté sur la
scène : ainsi, la mort de Cléopâtre dans Rodogune de Corneille, se déroule dans les
coulisses ; le récit de Théramène, dans Phèdre, relate l’épisode de la fin
violente d’Hippolyte.
Le XVIIe siècle voit aussi la résurgence, après une
longue éclipse, de genres littéraires hérités de l’Antiquité : la
fable,
la satire, les
lettres,
les maximes et les portraits. La Fontaine illustre magnifiquement le premier dans
ses Fables (1668-1678). Boileau, émule d’Horace, écrit des Satires (1666-1668) qui trouvent un grand
succès. Mme de Sévigné (1626-1696) mêle dans ses Lettres les « potins » de la Cour et
des réflexions morales. Les Maximes de La
Rochefoucauld (1664) et Les Caractères de La Bruyère (1688) donnent à la critique sociale une pulsion
nouvelle et la transforment en satire. Ces deux ouvrages ouvrent la voie à
l’esprit de réforme du siècle suivant.
En revanche,
l’époque classique semble se désintéresser de la poésie lyrique. On peut,
cependant, relever que, chez Racine, le dilemme tragique s’exprime
en un lyrisme d’une grande pureté, que Corneille a utilisé les
« stances », strophes où les héros exposent leur
situation avec une profonde émotion et que La Fontaine lui-même, au détour d’une
fable, ose, de temps à
autre, une
confidence.
La France du
XVIIe siècle connaît encore le multilinguisme, avec
des parlers ou des accents régionaux et sociaux très contrastés. Cependant, le
français n’y est plus perçu comme une langue « vulgaire » par rapport
au latin, comme c’était encore le cas au siècle précédent.
Reste à en fixer
le bon usage, c’est-à-dire « la façon de parler de la plus saine partie de
la cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs
du temps », comme l’écrit Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française (1647). De
nombreux ouvrages paraissent à la suite du sien, comme celui de Ménage, Observations sur la langue française (1672).
La fin du siècle voit paraître deux grands dictionnaires de la langue française
(Richelet, 1680 ; Furetière, 1690) avant celui des Académiciens (1694).
Le
déclin et les survivants
Vers la fin du
XVIIe siècle, les défaites militaires et la misère
du royaume ternissent l’éclat des dernières années du règne de Louis XIV. Les problèmes politiques et
sociaux l’emportent désormais sur l’idéal de l’âge classique. La Bruyère et Fénelon critiquent la monarchie absolue.
L’autorité de la religion est remise en question par Bayle et Fontenelle. De
nombreus signes annoncent, dès la fin du siècle, l’avènement de l’esprit
nouveau.
La Querelle
des Anciens et des Modernes, vers 1680, souligne la rupture entre les tenants de
l’art classique, qui préconisent l’imitation des écrivains de l’Antiquité, et
les Modernes qui trouvent les Anciens « sans goût et sans
délicatesse », comme l’affirmait sentencieusement Boisrobert en 1635.
Cependant, l’idéal
classique survit au XVIIIe siècle à
travers des œuvres rigides et formalistes, comme les tragédies de Crébillon
(1674-1762) ou celles de Voltaire, grand admirateur de Racine. Mais l’auteur de Zaïre (1732) compense la pauvreté de l’analyse
par les effets scéniques. En accordant une grande place au pathétique
extérieur, il ouvre la voie au drame romantique.
De Lamartine à Baudelaire, en passant par Vigny et Hugo, les poètes du XIXe siècle respectent les codes de
la prosodie classique. C’est avec Rimbaud que l’art poétique
connaîtra une véritable révolution dont se réclameront les poètes surréalistes.
Mais l’idéal
classique trouvera des défenseurs passionnés même au XXe siècle avec André
Gide, François
Mauriac, Georges Bernanos et Julien Green, héritiers d’une tradition
inaugurée quelque trois siècles plus tôt par le
merveilleux roman de Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678).
Conclusion
À partir du
classicisme, la réflexion intellectuelle, la recherche de la perfection
formelle et la vie sociale cessent d’apparaître comme des sphères séparées.
Bien plus qu’un mouvement esthétique, le classicisme apparaît comme une
véritable vision du monde, où « tout n’est qu’ordre et beauté ».
C’est, finalement, à
un critique contemporain, Jean-Claude Tournand, qu’on peut emprunter ce
jugement sur le Grand Siècle : « Dans la mémoire des Français,
le XVIIe siècle joue un peu le rôle d’une référence par
rapport à laquelle on juge tout le reste, comme, avant le classicisme, on
jugeait tout par rapport à l’Antiquité. Cela tient peut-être au fait que, par rapport
aux siècles qui l’ont précédé, il inaugure les temps modernes. Mais on peut
croire aussi qu’en dépit des luttes qui ont marqué son histoire il évoque la
pensée d’une certaine cohésion : l’approche, par différentes avenues, d’un
commun idéal de perfection. »
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